C’est la jungle (Jungle Book), Harvey Kurtzman, Wombat, « Les iconoclastes »
Autour de cette nouvelle édition du classique Jungle Book, se dresse un portrait multiple de Harvey Kurtzman. Qui est-il ? À mi-chemin entre H. Dunant, l’inventeur de la Croix-Rouge, pour son altruisme et de A. Nobel, l’inventeur de la dynamite, pour le style :
« Kurtzman introduit dans le format comic book une irrévérence jusqu’alors typique de l’humour juif new yorkais »[1]
De la revue MAD (1952) au novateur Jungle Book (1959), Wolinski, Gilbert Shelton[2], Denis Kitchen[3], Art Spiegelman ou Robert Crumb présentent leur genèse de l’ouvrage.
MAD
Au début des années 50, les comic books proposent le genre horreur, western, guerre ou des super-héros. L’irruption de MAD, dont le titre donne le ton, change la donne. La chance s’en mêle avec la mise en place d’un conseil supérieur visant à réguler le contenu des publications jeunesse, le comics code authority. Pour survivre, MAD passe du format comic book vers celui du magazine. Il contourne ainsi la loi et augmente son prix de 10 C à 25 C. Malgré l’importance de son rôle, Kurtzman quitte MAD au bout de 38 numéros, après un conflit avec l’éditeur Bill Gaines. Au milieu des fifties, un magazine anticonformiste mélangeant le texte, la fiction et les dessins s’épanouit. Hugh Hefner, fondateur et propriétaire de Play-boy n’est pas insensible à l’esprit MAD. Quelques rencontres plus tard, Kurtzman rejoint Hefner autour de la revue Trump (1957). De belle facture, elle cesse de paraître au second numéro. Kurtzman et ses proches misent alors toutes leurs économies sur un nouveau projet, Humbug (1957), sans trouver de lectorat. Help ! (1960) sera le dernier baroud journalistique.
MAD parodie la production graphique de l’époque, c’est-à-dire les Mickey et autres super-héros, induisant l’idée d’une bande dessinée destinée aux adultes. Une contre-culture, underground[4], peu à peu apparaît. Crumb, initiateur de l’autobiographie dessinée, puise à cette source[5]. Plus étonnant, le jeune René Goscinny, après avoir quitté l’Argentine, fait ses classes à New York auprès de Kurtzman. Il rapporte l’idée du magazine et crée Pilote, lequel conduit à l’éclosion de talents (de Giraud à Gotlib) et à la création de revue (de Métal Hurlant à Fluide Glacial)… Un autre protégé, Terry Gilliam, rédacteur en chef adjoint à Help !, travaille avec l’acteur et gagman anglais John Cleese, avant de rejoindre l’aventure des Monty Python. Fin 1958, Kurtzman contacte l’éditeur Ballantine et lui propose quatre histoires inédites au format poche.
Underground et populaire
Roger Sabin rappelle que :
« L’underground est à la base un phénomène d’origine américaine… la première (source d’inspiration) et peut-être la plus importante, c’est l’influence du magazine MAD. Kurtzman amène toute une génération de dessinateurs à repousser les limites de la satire. »[6]
Pour Spiegelman, Kurtzman a :
« Formé ou déformé les esprits des teenagers des fifties. »
Dans ses différents travaux, il synthétise les critiques que lui inspire le modèle économique et culturel américain, le bizness man, l’envers du rêve américain. Kurtzman reprend les outils de communication à destination de la jeunesse, de la prime enfance (Disney) à l’adolescence (super-héros), symbole de justice et de lutte contre le mal, pour les détourner et créer un courant qui alimentera la contre-culture.
En revanche, selon les termes du contrat, et d’après les ventes réalisées, il ne touchera pas un cent de plus que son avance pour Jungle Book. Vingt ans passent, Will Eisner, cadet et ami de Kurtzman, propose un ouvrage similaire. Il existe un réseau d’amateur (fanzine, convention) pour faire vivre l’ouvrage. Afin de se distinguer des comic book, Eisner propose une nouvelle appellation : roman graphique.
[1] (R. Crumb, Jean-Paul Gabilliet, P. U. Bordeaux, 2012, p. 27.)
[2] (Artiste américano-parisien issu de la contre culture américaine auteur des fameux héros hippies : les Freaks Brothers.)
[3] (L’ami, dépositaire de mémoire à travers ses différentes compilations, et ses éclaircissements.)
[4] (Certains historiens attribuent la paternité du thème à Kurtzman. Comics, comix & graphic novels – a history of comic art, R. Sabin, Londres, Phaidon, 1996, p. 115.)
[5] (R. Crumb, Jean-Paul Gabilliet, P. U. Bordeaux, 2012. « Crumb découvre le comic book parodique MAD au numéro 11, dont la couverture pastiche celle du magazine Life de l’époque (le Paris – match d’après guerre) légendée « the most beautiful girl of the month ».)