Résistances passées

Fourmies la Rouge, Alex W. Inker, Sarbacane

Installé depuis plusieurs années dans le paysage du roman graphique, Alex W. Inker propose une reconstitution de la tragique journée du 1er mai 1891 à Fourmies, dans le Nord, au cours de laquelle neuf personnes ont été tuées.

Un auteur concerné

Alex W. Inker marque le neuvième art de sa patte depuis plusieurs ouvrages. Son association avec l’éditeur Sarbacane débouche sur Apache (2016), autour de bad boys éponymes dans le Paris des années trente. Suivant cette lignée interlope, accompagné par Jacques Goldstein pour le scénario, il retrace le parcours rocambolesque du boxeur noir panaméen, Alfonso Teofilo Brown, alias Panama Al Brown (2017), du ring de boxe aux soirées parisiennes. Par la suite, il met son trait au service du romancier chinois Yan Lianke, en adaptant Servir le peuple (2018), parodie originale de la Révolution culturelle. Dans un registre plus dramatique, le récent Un travail comme un autre (2020) aborde l’envers du rêve américain. À partir de Work Like Any Other (2016) de Virginia Reeves, Inker relate le parcours d’un self-made-man déchu. Une approche humaniste pour ces individus à la marge charpente chacun de ses livres.

Une histoire de famille

« Je viens de Fourmies […] Jusqu’à la fermeture des usines, la quasi-totalité de ma famille était composée d’ouvriers d’usine et d’ouvriers en filature. » A.W. Inker

Située dans la région Hauts-de-France, Fourmies acquiert une importance dans la seconde partie du xxe siècle grâce à l’installation d’une industrie textile et l’établissement d’une population ouvrière essentielle à son fonctionnement. En 1891, la cité compte 37 filatures pour 15 702 habitants, en majorité des ouvriers. Les conditions de travail sont pénibles : le bruit, de douze à quinze heures par jour, six jours sur sept, pour des salaires bas.

Le 1er mai 1891, le parti ouvrier local invite à manifester. À l’initiative de l’Internationale ouvrière, en référence aux événements de Chicago du 1er mai 1886, la « Journée internationale des travailleurs » a été instauré en juillet 1889 chaque 1er mai suivant. En mai 1890, la principale revendication est la journée de huit heures.

Reconstituer l’événement

Selon la chronologie, Maria (inspirée de la protagoniste Maria Blondeau) décide de tracter dès l’aube, plutôt que d’aller « au bagne ». Elle croise Louise, Kléber, le porte-drapeau et Émile, le pendant fourmisien de Gavroche. Dans l’après-midi, en face, deux soldats nous renseignent sur le sentiment contradictoire parmi la troupe, armée pour la première fois du fusil Lebel. Tous se retrouvent sur la place de l’église en fin de journée, avant que n’éclate la fusillade. Maria et les autres feront partie des neuf victimes.

L’utilisation massive du rouge confirme le talent de l’auteur à jouer des couleurs comme composante du récit, le rouge de la brique et du drapeau, le rouge garance du pantalon des soldats et le rouge sang. Le trait, d’ordinaire très lisible dans les précédents ouvrages, est saturé, créant de l’immédiateté, le sentiment de suivre en direct la fabrication d’un reportage.

Fourmies la Rouge commémore la fusillade du 1er mai 1891. Un épilogue sur les conséquences sociales et politiques dans la France en phase d’industrialisation aurait permis de signifier l’importance de l’événement. Impliqué, Alex W. Inker évite le piège partisan et délivre un témoignage moderne.

Publicité
%d blogueurs aiment cette page :