Dernier baroud

Churchill et moi

Franck Giroud et Andréa Cucchi, Casterman

Avec ce Churchill aguicheur, le scénariste Franck Giroud propose une histoire du féminisme en Angleterre au tournant du XXe siècle. En reprenant les ingrédients qui en ont fait l’un des meilleurs auteurs de scénario de bande dessinée des 30 dernières années, Giroud saisit à nouveau l’air du temps et inscrit son personnage dans la grande Histoire. La condition féminine, dans une Angleterre victorienne qui adule sa reine et traite les Anglaises comme des sujets de seconde zone, anime le récit. L’appartenance sociale et l’Empire britannique servent de décor.

Utilisant la fiction avec l’habileté d’un feuilletoniste du XIXe siècle, Giroud nous transporte dans l’Oxfordshire. Le maquignon Harper a ses entrées chez les Marlborough. Sa fille Clémentine brûle d’amour pour le jeune seigneur, Winnie, alias Winston Leonard Spencer-Churchill. Ardeur qui la guide dans ses choix professionnels. Conseillée par une tante Edna anticonformiste, Clem décide de vivre de sa plume dans un pays pénétré d’une hiérarchie sociale pluriséculaire. À la suite d’une humiliation résultant de cette sourde lutte de classe, la jeune femme embrasse la carrière journalistique. Un houleux entretien d’embauche et un documentaire extrême sur les conditions de vie dans un asile londonien lui ouvrent les portes de la reconnaissance… parmi les patrons de presse.

Ses compétences révélées, et une fois connue sa relative accointance avec le descendant du premier duc de Marlborough, lui servent d’atout pour se rendre en Afrique du sud, alors dévastée par la guerre des Boers. Conflit au cours duquel Churchill se distingue, ses actes de bravoures lui serviront de tremplin politique. En parallèle de ce destin national, Miss Harper canalise son combat pour l’égalité hommes femmes.

Paradoxe révélateur, malgré le titre, Clémentine Harper tient la vedette. Journaliste dans la veine d’Albert Londres, elle préfère l’action au salon. Giroud condense différents parcours dans ce portrait de femme. Destiné au grand public, ce récit se focalise sur l’opposition homme femme, en gommant les nuances existantes dans la société anglaise de l’époque. Si nombre d’injustice sont aujourd’hui incompréhensibles, la femme sans mari était considérée comme une marginale, au-delà du genre, rappelons que les rapports humains à la fin du XIXe siècle sont emprunts de violence. Oliver Twist ou Winnie, lord Spencer-Churchill, n’ont pas la même espérance de vie. Pour l’anecdote, Churchill, dans ses mémoires, garde un souvenir cuisant des humiliations et des châtiments corporels subis à l’école élémentaire.

Au dessin, comme souvent avec Giroud, Andrea Cucchi use d’un classicisme parfois trop réaliste, limite vieille école, ce qui donne un caractère authentique à cette biographie inventée. Churchill et moi est aussi et surtout l’occasion de saluer la mémoire d’un grand scénariste. Passé par la voie académique, les Chartes, l’agrég’ d’histoire, Franck Giroud a exploité le filon historique avec brio. Privilégiant peut-être la série, les premiers Louis la guigne, Les Oubliés d’Annam ou encore Azrayen’ dégageaient une force qui a permis au neuvième art de s’épanouir, telle son héroïne Clem Harper. Calquant ses récits dans les replis de la Grande histoire, Giroud a ressorti des épisodes passés pour en donner une nouvelle lecture, et pour notre plus grand plaisir. R.I.P.